mercredi 4 mai 2022

Beaux passages

"Un obscur pressentiment, que confirme une expérience millénaire, nous dit que cette mer de vagues et de brumes est sans fond et sans rivages, et que nos ingénieuses épuisettes et nos panoplies d'outils de sondage, que nous ne nous lassons d'imaginer et d'assembler, sont toutes et toujours "juste un poil trop courts". Il en est ainsi tout autant aujourd'hui, qu'à l'aube de l'esprit humain, balbutiant ses premières paroles. Aujourd'hui comme il y a un million d'années, c'est le limité, le fini, s'efforçant d'appréhender l'infini, l'illimité - sans l'épuiser jamais et sans jamais toucher fond ou rivage...

Tel est le mouvement immémorial de va-et-vient entre le "vague" et le "précis", entre l'"inconnu" et le "connu", entre le "mystère" (voire, le chaos de l'ignorance totale, celle qui s'ignore encore elle-même) et les lignes épurées de l'"ordre". Et voici maintenant la chose vraiment dingue : dans la vaste littérature qui, depuis des siècles et des millénaires, est censée rendre compte de l'aventure de l'esprit à la découverte des choses, rien ne transparaît de ce mouvement, si ce n'est tout au plus entre les lignes. Toujours on nous livre "le précis", comme s'il était sorti d'un bond et habillé de pied en cap du cerveau du "Savant" (comme d'une trappe, ou de l'output d'un infaillible méga-ordinateur...) pour se caser impeccable dans les cases-alinéas, paragraphes et chapitres spécialement prévus à cet effet, et constituer en ordre canonique les doctes mémoires, notes et communications où nous avons tout loisir d'en prendre connaissance.

Quant à ce qui nous inspire, ce qui nous souffle au fil des heures, des jours et des années ce que nous avons à faire en chaque moment, et cela aussi (peut-être) qui nous a fait tourner en rond pendant des années, ou pendant une vie entière, voire, pendant des générations - le vague, l'inconnu, le mystère, et la mer sans rivage du rêve insaisissable, insistant, insidieux - de tout cela, toute trace en semble éradiquée, comme par un Censeur pudibond, maussade et implacable."

Alexander Grothendieck, Récoltes et semailles, éds. Tel Gallimard, p.1228. 


"Tu as atterri dans un monde pour lequel tu n'es pas fait - et j'en suis pourtant heureux pour toi, que tu ne sois pas fait pour ce monde-là. Tu as fait le travail que tu sentais que tu avais à faire, sans te préoccuper de mode, sans faire des calculs de retours, faisant simplement confiance à ton propre instinct - quitte à faire ton chemin dans la solitude. Tu as fait ton travail, plutôt que guetter les signes discrets (et moins discrets) de ceux qui décident de ce qui est bon et décent et de ce qui ne l'est pas. Tu n'as pas louvoyé pour plaire, tu n'as pas dit "blanc" quand tu voyais noir, ou inversement - et c'est avec tes yeux que tu regardes. Je n'ai pas à t'en féliciter - tu n'as pas recherché les félicitations, ni les miennes ni celles de personne. Et de tout cela, je suis heureux, pour toi et pour tous."

extrait de la même source, p. 1625.


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