Deux extraits :
(p. 40) Cette notion d'attention, comme tension vers, est fondamentale
pour définir une vie engagée, pleinement vécue par le sujet. La conscience ne
reçoit pas passivement les informations mais synthétise activement une
expérience sensée. C'est elle qui forme ce qui est perçu comme ''instant
présent''. Comme l'explique encore Bergson, ''il n'y aurait pas pour [nous] de
présent, si le présent se réduisait à l'instant mathématique. Cet instant n'est
que la limite, purement théorique, qui sépare le passé de l'avenir ; il peut à
la rigueur être conçu, il n'est jamais perçu [...]. Ce que nous percevons en
fait, c'est une certaine épaisseur de durée qui se compose de deux parties :
notre passé immédiat et notre avenir imminent''.
L'instant mathématique, sorte de curseur sur la ''flèche du temps'', ne cesse de
se déplacer. Ce qui est présent pour nous, ce n'est pas une abstraction
insaisissable : c'est ce que notre mémoire retient de ce qui vient d'arriver et
ce que notre attention anticipe de ce qui va se passer. Au temps physique de
notre vie biologique se superpose donc un temps psychologique, d'intensité et de
rythme variables, qui est le temps de la conscience, la durée, dépendant
de l'intensité de l'activité de notre conscience. Quand elle est pleinement
engagée, quand nous sommes concentrés, le temps ''passe vite''. Quand
elle est flottante, le temps s'étire : c'est l'ennui. Il devient dès lors de
notre responsabilité d'être pleinement attentifs pour tirer le meilleur parti de
notre temps.
(p. 50) Machine humaine ?
De fait, nous pensons dans et avec notre corps, avec ses limites,
ses déterminations, ses émotions, ses surprises -- altérations conjointes de
notre chair et de nos idées, dont la nature n'est pas strictement séparée des
affects. La machine, elle, compute mais ne vit pas. Sa pensée sans corps peut
être étonnament rapide, comme les algorithmes qui nous impressionnent
aujourd'hui, mais ne s'inscrit dans aucun vécu éprouvé. C'est une apparence de
subjectivité sans sujet. La machine ne s'engage pas, le propos ne l'engage pas.
Sa temporalité est quasi réversible (elle peut annuler une tâche, effacer un
contenu sans en garder trace), elle ne s'inscrit dans aucune ''lignée'' et son
énonciation n'implique aucune responsabilité. Pour l'instant, elle n'a rien à
perdre ni à gagner.
Si les machines ne peuvent pas se mettre ''dans notre peau'', ce n'est donc pas
(seulement) parce qu'elles n'ont pas de peau. On pourrait imaginer des
périphériques et des capteurs très fins qui leur procureraient des données
similaires à nos sensations, susceptibles d'être traitées à l'instar de plaisirs
et de peines, moyennant les ''récompenses'' et les sorties appropriées pour
induire des comportements qui nous sembleraient, de l'extérieur, empathiques et
moraux. Mais ce traitement des données resterait toujours étranger à la
temporalité, qui est certainement le plus grand déterminant de la vie humaine,
transformant conjointement le corps et la psyché, et à toute notion
d'irréversibilité et de responsabilité. Ce que nous disons, faisons et
engendrons ne peut être défait.
Avant de nous comparer avec la machine pour décréter, de plus en plus
sincèrement, notre infériorité, n'oublions donc pas la double réduction dont
elle est issue, quand nous avons créé les ordinateurs et le langage informatique
en copiant une partie seulement de nous-mêmes (le cerveau) et, en son
sein, quelques-unes seulement des multiples compétences de notre
intelligence. On mesure mieux alors combien il est choquant, après avoir une
première fois imité une sélection de nos capacités à travers les machines, de
nous mesurer à elles comme si nous étions commensurables, comme si nous n'étions
effectivement que des porteurs de ces quelques compétences sélectionnées
et avions perdu ou oublié toutes les autres. Quel travail de falsification pour
faire fi du reste de nos facultés et nous amener effectivement à les abandonner
! Et quel oubli des apanages précieux qui nous restent : le corps, la vie, rien
de moins !
Le plus grand risque dont la ''concurrence'' avec des machines anthropomorphes
est porteuse, à ce titre, n'est pas qu'elles deviennent ''comme nous'' mais que
nous oubliions qu'elles ne le sont pas et projetions sur elles une empathie et
des attentes qui ne leur sont pas dues, tout en rougissant de l'imperfection, de
la lenteur et de la progressivité de nos propres qualités.
Renversons le point de vue : la finitude de notre condition incarnée n'est pas
une limite préjudiciable mais la condition de notre créativité.
lundi 25 août 2025
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Carrés écossais et points fixes dans le plan complexe
7/8/2025 : Peut-être... https://denisevellachemla.eu/carres-et-points-fixes.pdf (en) https://denisevellachemla.eu/squares-and-fixed-point...

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7/8/2025 : Peut-être... https://denisevellachemla.eu/carres-et-points-fixes.pdf (en) https://denisevellachemla.eu/squares-and-fixed-point...
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lien vers la note du 5.2.25 (au sujet de la bicouche !) on continue le 8.2.25. Et on trouve peut-être un invariant le 10.2.25.
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L’ancien maillage que j’avais mis au jour en 2005 (voir aux pages ici et là ) peut s’obtenir par des calculs de sommes, sans utiliser le si...
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