lundi 25 août 2025

Conseil de lecture

Deux extraits :

(p. 40) Cette notion d'attention, comme tension vers, est fondamentale pour définir une vie engagée, pleinement vécue par le sujet. La conscience ne reçoit pas passivement les informations mais synthétise activement une expérience sensée. C'est elle qui forme ce qui est perçu comme ''instant présent''. Comme l'explique encore Bergson, ''il n'y aurait pas pour [nous] de présent, si le présent se réduisait à l'instant mathématique. Cet instant n'est que la limite, purement théorique, qui sépare le passé de l'avenir ; il peut à la rigueur être conçu, il n'est jamais perçu [...]. Ce que nous percevons en fait, c'est une certaine épaisseur de durée qui se compose de deux parties : notre passé immédiat et notre avenir imminent''.

L'instant mathématique, sorte de curseur sur la ''flèche du temps'', ne cesse de se déplacer. Ce qui est présent pour nous, ce n'est pas une abstraction insaisissable : c'est ce que notre mémoire retient de ce qui vient d'arriver et ce que notre attention anticipe de ce qui va se passer. Au temps physique de notre vie biologique se superpose donc un temps psychologique, d'intensité et de rythme variables, qui est le temps de la conscience, la durée, dépendant de l'intensité de l'activité de notre conscience. Quand elle est pleinement engagée, quand nous sommes concentrés, le temps ''passe vite''. Quand elle est flottante, le temps s'étire : c'est l'ennui. Il devient dès lors de notre responsabilité d'être pleinement attentifs pour tirer le meilleur parti de notre temps.

(p. 50) Machine humaine ?

De fait, nous pensons dans et avec notre corps, avec ses limites, ses déterminations, ses émotions, ses surprises -- altérations conjointes de notre chair et de nos idées, dont la nature n'est pas strictement séparée des affects. La machine, elle, compute mais ne vit pas. Sa pensée sans corps peut être étonnament rapide, comme les algorithmes qui nous impressionnent aujourd'hui, mais ne s'inscrit dans aucun vécu éprouvé. C'est une apparence de subjectivité sans sujet. La machine ne s'engage pas, le propos ne l'engage pas. Sa temporalité est quasi réversible (elle peut annuler une tâche, effacer un contenu sans en garder trace), elle ne s'inscrit dans aucune ''lignée'' et son énonciation n'implique aucune responsabilité. Pour l'instant, elle n'a rien à perdre ni à gagner.

Si les machines ne peuvent pas se mettre ''dans notre peau'', ce n'est donc pas (seulement) parce qu'elles n'ont pas de peau. On pourrait imaginer des périphériques et des capteurs très fins qui leur procureraient des données similaires à nos sensations, susceptibles d'être traitées à l'instar de plaisirs et de peines, moyennant les ''récompenses'' et les sorties appropriées pour induire des comportements qui nous sembleraient, de l'extérieur, empathiques et moraux. Mais ce traitement des données resterait toujours étranger à la temporalité, qui est certainement le plus grand déterminant de la vie humaine, transformant conjointement le corps et la psyché, et à toute notion d'irréversibilité et de responsabilité. Ce que nous disons, faisons et engendrons ne peut être défait.

Avant de nous comparer avec la machine pour décréter, de plus en plus sincèrement, notre infériorité, n'oublions donc pas la double réduction dont elle est issue, quand nous avons créé les ordinateurs et le langage informatique en copiant une partie seulement de nous-mêmes (le cerveau) et, en son sein, quelques-unes seulement des multiples compétences de notre intelligence. On mesure mieux alors combien il est choquant, après avoir une première fois imité une sélection de nos capacités à travers les machines, de nous mesurer à elles comme si nous étions commensurables, comme si nous n'étions effectivement que des porteurs de ces quelques compétences sélectionnées et avions perdu ou oublié toutes les autres. Quel travail de falsification pour faire fi du reste de nos facultés et nous amener effectivement à les abandonner ! Et quel oubli des apanages précieux qui nous restent : le corps, la vie, rien de moins !

Le plus grand risque dont la ''concurrence'' avec des machines anthropomorphes est porteuse, à ce titre, n'est pas qu'elles deviennent ''comme nous'' mais que nous oubliions qu'elles ne le sont pas et projetions sur elles une empathie et des attentes qui ne leur sont pas dues, tout en rougissant de l'imperfection, de la lenteur et de la progressivité de nos propres qualités.

Renversons le point de vue : la finitude de notre condition incarnée n'est pas une limite préjudiciable mais la condition de notre créativité.

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